Les influenceurs chinois de live-streaming, cibles de la campagne de « prospérité commune » de Xi Jinping

Publié le 4 janv. 2022 | 7 min de lecture

Ces dernières années, les "live-streamers" chinois ont exploité le e-commerce, les médias sociaux et le pouvoir des stars pour alimenter l'essor d'une industrie de plusieurs milliards de dollars. Les médias d'État n'ont pas tari d'éloges sur ces entrepreneurs, pour la plupart jeunes, qu'ils considèrent comme des exemples d'innovation chinoise. Les présentateurs des journaux télévisés de CCTV ont présenté des émissions vendant des appareils électroménagers ; le dirigeant chinois Xi Jinping est apparu sur une chaîne rurale de live-streaming pour vendre des champignons.

Aujourd'hui, les influenceurs qui vendent des produits à leurs fans en ligne sont les cibles de la campagne de Xi Jinping pour la "prospérité commune", une vaste campagne de répression qui met au pas les célébrités et les sociétés Internet au nom de la lutte contre les inégalités.

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La semaine dernière, les autorités de Hangzhou ont infligé à la célébrité d'Internet Viya une amende sans précédent de 210 millions de dollars pour avoir fraudé le fisc. Les commentateurs, les médias d'État et d'autres organes gouvernementaux ont rapidement multiplié les critiques. L'industrie du live-streaming fait partie des « exemples les plus frappants d'industries qui pompent le sang de l'économie réelle », a écrit un commentateur.

imrsDes sessions de diffusion en direct par les live-streamers chinois Li Jiaqi et Viya, dont le vrai nom est Huang Wei, à gauche, sont visibles sur Taobao, l'application e-commerce d'Alibaba. (Florence Lo/Reuters)

Le journal quotidien People’s Daily a posté, sur Weibo, que l'amende de Viya devrait servir de « réveil » pour les autres. Il était écrit :

« Peu importe à quel point vous êtes célèbre ou populaire, si vous évitez les impôts, vous ne pouvez pas éviter les sanctions ».

Presque toutes les provinces ont donné aux artistes et aux streamers jusqu'à la fin de l'année pour payer les impôts dus et éviter les sanctions sévères. L'Administration fiscale de l'État a appelé à davantage d'enquêtes pour « faire progresser l'équité et la justice » et garantir que les nouvelles industries « se développent dans le cadre de la réglementation ».

S'inscrivant dans le cadre de la campagne de réglementation éclair qui a pris au piège les entreprises technologiques, les professeurs particuliers et d'autres, la campagne visant les  live-streamers ne cherche pas seulement à montrer aux jeunes internautes qui est le patron. Il s'agit également d'un effort visant à injecter une rigueur idéologique dans la nouvelle économie après des années de croissance explosive et à exercer un contrôle accru sur les industries qui prospèrent dans le cadre de la vision économique de Xi Jinping.

Fang Kecheng, professeur adjoint à l'École de journalisme et de communication de l'Université de la ville de Hong Kong à déclaré :

« Il peut y avoir des points de vue contradictoires sur la façon de traiter cette partie de l'économie … mais la tendance la plus décisive va dans une direction plus idéologique. Ces influenceurs en ligne ne sont pas considérés par les principaux dirigeants comme les meilleurs modèles pour la société et pour les jeunes. »

Lors de sessions nocturnes qui combinent émissions de variété et publi-reportages, les influenceurs soutenus par de grandes équipes de production exhortent les téléspectateurs à profiter des offres. Le format, qui a gagné en popularité avec la montée en puissance des plateformes de vidéos courtes telles que Douyin, est devenu plus courant pendant la pandémie. Viya, connue pour ses remises et sa capacité à vendre n'importe quoi – l'année dernière, elle a vendu un lancement de fusée organisé par une société aérospatiale chinoise, pour environ 5,6 millions de dollars – a attiré une audience de plus de 37 millions en un mois.

Mais l'accent mis sur le fait d'inciter les gens à acheter autant que possible est en contradiction avec la campagne de Xi Jinping, qui appelle à redistribuer la richesse et à promouvoir la durabilité. L'hyperconsommation et les étalages de richesse sont découragés. La répression signale également un changement dans les attitudes officielles quant aux industries à promouvoir pour améliorer la compétitivité du pays.

Yik Chan Chin, professeur associé à l'Université normale de Pékin déclare :

« Du point de vue du gouvernement, [le live-streaming] n'est pas un élément essentiel de la technologie. Il ne s’agit que de shopping et de divertissement en ligne, et le gouvernement pense que ce ne sont pas des industries importantes. »

Viya, une ancienne chanteuse de la province d'Anhui dont le vrai nom est Huang Wei, fait partie des influenceurs les plus en vue à être interpellés. Les autorités fiscales de Hangzhou, s'appuyant sur des outils de Big Data pour analyser les revenus de Viya, ont déclaré qu'elle avait sous-déclaré des commissions et masqué d'autres paiements. Son amende a dépassé la pénalité de 129 millions de dollars infligée à l'actrice Fan Bingbing pour fraude fiscale.

Zhang Yi, directeur général du cabinet de conseil iiMedia Research basé à Shenzhen, déclare :

«  En raison de lacunes réglementaires, le live-streaming est devenu un paradis fiscal pour beaucoup ces dernières années. Le gouvernement a dû faire comprendre que personne n'est au-dessus de la loi, même les personnalités publiques de premier plan comme Viya.»

Le mois dernier, les autorités de Hangzhou ont infligé une amende à deux autres éminents live-streamers pour fraude fiscale. Leurs comptes sur Taobao, un site e-commerce appartenant à Alibaba, Douyin et WeChat ont été fermés ce mois-ci.

La répression d'un secteur de l'Internet peuplé de célébrités met en évidence une autre cible du gouvernement : ceux que le Parti communiste au pouvoir considère comme ayant trop d'influence.

La Cyberspace Administration of China, le régulateur Internet du pays, a déclaré ce mois-ci qu'elle avait supprimé plus de 20 000 comptes d'influenceurs pour "abus d'influence en ligne" et "diffusion de contenu erroné". En août, le ministère du Commerce a publié une proposition de nouvelles normes réglementant la façon dont les live-streamers doivent s'habiller et parler devant la caméra afin de "ne pas violer l'ordre public ou les bonnes mœurs."

Guo Yanbo, un créateur de contenu de 28 ans connu sous le nom de "Big Monster" par ses plus de 10 millions de fans sur Douyin déclare :

« Ce n'est pas une question d'impôts. Les célébrités et les meilleurs live-streamers font l'objet d'une surveillance accrue sur ce qu'ils font ou disent. Par rapport à il y a deux ou trois ans, nous sommes maintenant plus prudents avec ce que nous téléchargeons. Quand je fais des clips comiques, je ne fais pas quelque chose de trop vulgaire. Quand je critique quelque chose, je m'assure de ne pas faire l'apologie de la richesse ou du consumérisme. »

Le sort de Viya souligne également la position précaire des influenceurs même lorsqu'ils s'efforcent de s'aligner sur le gouvernement. L'année dernière, elle a collecté des fonds pour des entreprises en difficulté à Wuhan à la suite de l'épidémie de coronavirus, a promu une campagne officielle "d'assiette vide" contre le gaspillage alimentaire et a été honorée pour son travail de réduction de la pauvreté rurale par la Fédération des femmes de Chine, affiliée à l'État.

D'autres live-streamers de premier plan, comme Li Jiaqi, connu sous le nom de "roi du rouge à lèvres", font la promotion de produits fabriqués en Chine. La semaine dernière, le chanteur pop chinois Wang Junkai, du boys band TFBOYS, a mis fin à un partenariat avec Intel après que l'entreprise ait demandé à ses fournisseurs de ne pas s'approvisionner dans la région du Xinjiang, afin de se conformer aux restrictions imposées par "plusieurs pays" sur les produits susceptibles d'être liés au travail forcé. Intel a ensuite présenté ses excuses pour les "problèmes causés".

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Depuis son amende, Viya a disparu de la scène publique. Elle a publié des excuses sur Weibo. « Ce qui est mal est mal. Je suis prête à assumer toutes les conséquences de mon erreur. », a-t-elle écrit le 20 décembre. Mais sa page Weibo et ses comptes sur Taobao et Douyin ont été supprimés. Son émission nocturne sur Taobao a été annulée.

Ses fans sont également restés silencieux, mais certains ont promis de continuer à publier les produits qu'elle a vendus sur leurs comptes personnels. On ne sait pas si elle fera un retour - un autre signe de l'avenir incertain auquel sont confrontés les influenceurs du pays.

« Il est plus dangereux de devenir un influenceur », a déclaré Fang. « Lorsque le gouvernement a besoin de trouver quelqu'un à réprimer, à punir, ils sont plus facilement ciblés. »

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Source : washingtonpost.com

Bérangère D'Henry

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