[Amazon] Comment, quand et pourquoi le géant du e-commerce tombera

Publié le 14 août 2019 | 9 min de lecture

Il est extrêmement innovant, constamment disruptif et centré sur ses clients. Son fondateur iconique est l'un des hommes les plus riches de l'histoire. Sa trajectoire de croissance est si vertigineuse que les marques de tous les secteurs n'ont d'autre choix que de s'y associer ou de subir l'angoisse de lui faire concurrence. On le craint, on l'admire, on le déteste même, mais surtout, il semble invincible.

Bien que cela puisse sembler une description appropriée du géant américain du e-commerce Amazon, ce sont précisément les types de superlatifs utilisés, il n'y a pas si longtemps, pour décrire un autre commerçant - auprès duquel le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, a forgé une grande partie de sa philosophie de mise sur le marché : Walmart.

Entre 1962 et le début des années 2000, Walmart a régné sur le commerce de détail, mettant au rancart des dizaines de concurrents, petits et grands. En 2010, Walmart avait ouvert 4 393 magasins, dont plus de 3 000 après 1990. Si le commerce de détail avait une Légion romaine, c'était Walmart.

Pourtant, malgré son ascension légendaire, l’enseigne a affiché en 2015 la toute première baisse de ses ventes depuis son inscription en bourse 45 ans plus tôt et s'est depuis retrouvée aux prises avec une lutte existentielle, trimestre après trimestre, pour récupérer son mojo. L’entreprise a dû fournir un effort frénétique pour se réinventer dans un monde qui a changé autour d'elle. Que Walmart survive ou non à cette nouvelle ère du commerce de détail demeure discutable, mais une chose est certaine : le déclin de ce géant jadis impénétrable a prouvé que même les entreprises les plus titanesques peuvent tomber.

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Ironiquement, bon nombre des éléments qui ont rendu Walmart si extraordinairement formidable sont aussi ceux qui l'ont rendu vulnérable face à des concurrents comme Amazon et d'autres.

C'est cette même situation qui risque, à un moment donné, d'ébranler Amazon, mais avec encore plus de brutalité et de rapidité. Parce que, contrairement à Walmart, qui a étendu ses activités dans une ère largement industrielle, où le changement, la concurrence et l'allégeance des consommateurs évoluaient à un rythme relativement lent, le monde du commerce de détail d'aujourd'hui est construit sur des rails numériques où les nouvelles idées, concepts et technologies évoluent à la vitesse de la lumière et où la fidélité du client est tout aussi fugace.

Une structure organisationnelle et une stratégie aveuglantes 

Kodak a réussi en vendant des pellicules, Blockbuster en louant des vidéos, Tower en vendant des disques, et dans chaque cas leur succès a créé des angles morts à leur angle de vue, les rendant inconscients des changements technologiques et de consommation qui s’opéraient sur leur marché et qui auraient dû être évidents. C'est ce qu' Arthur L. Stinchcombe, sociologue des années 1960, a appelé "l'empreinte organisationnelle", un phénomène où une entreprise, à l’ère où elle connaît son plus grand succès, tend à geler sa structure organisationnelle et sa stratégie pendant des années - voire des décennies.

De même, le succès d'Amazon - grâce à son business model actuel - peut l’aveugler vis à vis des changements sociaux, économiques ou technologiques importants du commerce électronique. D’ailleurs, lors d'une récente interview, Jeff Bezos aurait dit : "Dans notre business, nous savons que les clients veulent des prix bas, et je sais que ce sera encore le cas dans 10 ans. Ils veulent une livraison rapide ; ils veulent un vaste choix." A-t-il sans doute raison, mais ce qui est dangereux, c'est la prédisposition à croire que ce qui a fait le succès d'Amazon dans le passé continuera à le faire à l'avenir.

Il ne faut pas oublier qu'au cours des années 1990, Walmart a freiné ses investissements dans le commerce en ligne en faveur de la construction d'un plus grand nombre de d’hypermarchés très prospères. C'était une erreur dont l’enseigne s'efforce encore de se remettre. A moins qu'une organisation ne soit prête à changer complètement l'angle sous lequel elle voit le marché, elle sera inconsciente des dangers ou des opportunités qui se trouvent juste en dehors de sa vue.

Amazon : une expérience shopping efficace mais pas amusante

Pour le journaliste Doug Stephens (The Business of Fashion), l'expérience shopping Amazon est "à peu près aussi élégante et agréable qu'une tronçonneuse". Mais comme une tronçonneuse, Amazon a été conçue pour faire une seule et unique chose : offrir le plus grand choix de produits avec le plus haut niveau de rapidité et de confort... Et si vous savez ce que vous cherchez, c'est un outil pointu qui fonctionne à merveille.

Le problème, c'est qu'en tant qu'êtres humains, nous ne nous contentons pas d'acheter des produits. Pas tout le temps en tout cas. Nous faisons aussi du shopping pour découvrir de nouvelles choses, pour entretenir des liens avec des amis et pour nous divertir. Nous faisons du shopping pour le frisson de la chasse et la poussée de dopamine qui s'ensuit lorsque nous trouvons l’article tant désiré. Amazon n'a apparemment aucun intérêt pour ces éléments moins transactionnels. Le shopping sur Amazon demeure une activité solitaire, statique et morose.

De nos jours, l’expérience d'achat en ligne est plus immersive, interactive, divertissante et socialement connectée et Amazon pourrait se retrouver dans une position où lui est impossible de changer de cap.

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La mentalité d'un titulaire

Les organisations dirigées par leurs fondateurs sont puissantes, dynamiques et disruptives. Elles naissent souvent d'un sens de la mission et de l'objectif profondément partagé et souvent communiqué. Elles transfèrent le pouvoir et la prise de décision aux premières lignes et cultivent une intimité extrême avec les clients. C'est cette mentalité qui a poussé Amazon vers les sommets où elle se trouve actuellement. Des problèmes surgissent cependant lorsque les organisations perdent cette force, soit par le départ de leur fondateur, soit parce que l’énergie et la présence de leur fondateur se dissipent au point d'être inefficaces. Lorsque Walmart a perdu Sam Walton, elle a perdu son étoile polaire et a pris des décisions qui allaient à l'encontre des valeurs que Walton défendait et que les clients appréciaient.

Bien que Jeff Bezos semble en bonne santé (bien qu’un peu sur les nerfs), le plus grand risque est que son implication directe et son influence dans la stratégie et l'exécution quotidiennes d'Amazon diminuent avec le temps, soit en raison de la taille de l'organisation, soit en raison de sa passion particulière pour les aspects non essentiels de son activité, comme les voyages spatiaux commerciaux.

Lorsque la mentalité de fondateur sera remplacée par une mentalité de titulaire, Amazon perdra son orientation client et innovera moins. L'énergie autrefois consacrée à l'amélioration de l'entreprise sera sapée par le simple fait de travailler à soutenir l'infrastructure de l'organisation. Les décisions prises en première ligne de l'entreprise seront repoussées au centre de l'organisation et éloignées du client, ce qui entraînera une perte fatale de fidélité.

Un climat de travail en déclin 

Doug Stephens, rappelle que tout au long des années 90, nous avons entendu des histoires de cadres d'Amazon qui s'enrichissaient grâce à l'achat d'actions et de personnes qui réclamaient à cor et à cri de rejoindre leurs rangs, et qu'aujourd'hui, de telles histoires sont reléguées au second plan, par rapport aux récits de cadres d'Amazon sous pression et effectuant des heures de travail intenables. Nous voyons un flot constant de rapports d'enquête révélant un environnement de travail toxique. Et si ce n'est pas suffisant, les humains qui travaillent chez Amazon le font parmi une population croissante de robots qui sont formés pour faire leur travail plus efficacement et à moindre coût.

Comme Walmart avant elle, Amazon s'est donné beaucoup de mal pour mettre fin à la syndicalisation, mais il faut se demander s'il ne s'agit pas simplement de prévenir l'inévitable. Si les travailleurs d'Amazon sont mécontents, les clients d'Amazon le seront aussi. Et pour une entreprise qui a toujours été en tête des indices de service à la clientèle, même une baisse marginale de la satisfaction client pourrait lui être fatale.

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Attirer les marques sur la plateforme : le contrecoup des appâts 

En 2017, Amazon a organisé trois jours de réunions à Seattle, faisant appel à une myriade de marques de biens de consommation, dans le but de les attirer sur la plateforme. Le discours ? "Venez sur Amazon et arrêtez les intermédiaires ! Profitez d'une relation directe avec vos consommateurs !" Tout cela sonnait très bien et depuis lors, les marques courent vers Amazon. Même Nike, autrefois chaste et vertueux, a choisi de le faire.

Mais voici le piège...

Dans les coulisses, Amazon a créé une source de marques de distributeurs, plus de 100 pour être précis. Ces marques, dont certaines sont actuellement sur le marché et d'autres non, couvrent une gamme de catégories allant de l'habillement à l'alimentation, en passant par les cosmétiques et les meubles, pour n'en nommer que quelques-unes.

Alors, pourquoi Amazon invite-t-elle d'une part des marques dans le royaume et d'autre part crée-t-elle ses propres marques pour leur faire concurrence ? La réponse se trouve dans deux questions simples ; quand quelque chose est vendu sur Amazon, qui possède la data ? Et deuxièmement, à qui appartient en fin de compte la relation client ? Si vous avez répondu "Amazon" aux deux questions, vous avez raison.

C'est pourquoi Amazon va utiliser les marques et la data qu'elles fournissent pour parfaire sa connaissance des catégories et des produits spécifiques à la marque de distributeur et, ce faisant, orchestrer la plus grande stratégie d'appât dans l'histoire du commerce de détail. Les consommateurs à la recherche des marques les plus populaires seront, dans presque tous les cas, orientés vers des alternatives plus rentables de la marque Amazon. Toutefois, à plus long terme, les marques régulièrement passées à la trappe, seront à la recherche de partenaires moins conflictuels. Et sans les marques, Amazon cesse d'être Amazon. 

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David et Goliath

Tout comme Jeff Bezos a utilisé Walmart comme muse au début, il voudra peut-être s'y référer à nouveau afin d'éviter une fin prématurée. Pour les marques, il s'agit d'une mise en garde. Si vous êtes déterminé à faire affaire avec Amazon, faites-le les yeux grands ouverts et avec un parachute bien fixé.

Amazon, dont la capitalisation boursière a franchi le cap du billion de dollars mardi, est un phénomène unique en son genre qui s'avérera presque certainement l'une des entreprises les plus importantes et les plus puissantes de l'histoire. Et c'est précisément ce fait qui devrait inquiéter le plus Amazon - et quiconque faisant affaire avec lui.

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Source : businessoffashion.com

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Bérangère D'Henry

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